Sao Vicente, Cap Vert, septembre 2000.

Descente vers le sud de l'océan Indien poussé par les alizés musclées du SE. Le Tiki Yo effleure Maurice et par petites étapes franchit le Cap de Bonne Espérance et ses vagues monstrueuses. Repos sur le beau rocher de Sainte Hélène et avec regret quittons la croix du sud pour entrer dans l'hémisphère nord.

Le pot au noir franchit une dernière fois, le Cap Vert nous ouvre les bras et l'on constate avec joie : la terre est bien ronde! Mindelo, premier port du pays, lors de mon passage quinze ans plutôt, il y avait peu de gamins des rues. Maintenant c'est la première cause de délinquance : Colle, drogue, vol... l'éternel refrain que l'on entend partout dans le monde.

Nous allons au "Centre Juvenil Nhô Djunga" qui prend en charge 230 gamins des rues et tente de les arracher à la rue pour leur apprendre un métier. Orlindo notre interprète explique le cours qui ressemble à une histoire d'extra terrestre mais les enfants suivent. Ils effectuent avec une extrême maladresse les différentes étapes de la prise de vue; les boîtes volent dés qu'ils enlèvent le gaffer.

Dans la rue une bouteille de bière explose au pieds des gamins, c'est une bande adverse qui a fait le coup les enfants sont furieux. Je calme la troupe. "Eh! toi "crie un homme à Elvis ,"je t'ai déjà dit de ne plus revenir dans ce quartier et qu'as tu encore volé " reprend-il en lui montrant sa boîte. "C'est mon appareil répond le gamin," tu te fous de moi , allez file".

Léa, venu de Paris nous aider s'aperçoit vite que certains gamins ne savent pas compter. On égrène avec eux les chiffres : " cinéma uno, cinema dos...." Dans l'infirmerie du centre transformée en laboratoire, les gaffers sont mise en boule, les boîtes brutalisées, déformées. Les cuvettes de produit sont agitées violemment, les temps oubliés, cela démarre assez fort. Les résultats médiocres ne déçoivent pas les enfants qui sont surpris de voir apparaître un semblant d'image sur leur feuille blanche. Au-dehors un gamin lance une hache du toit, miracle elle n'atteint personne. Je réunis le groupe -mise au point- je leur parle du constat réalisé par les enfants de la favelas au Brésil. Les esprits s'échauffent puis se calment.

La camionnette avance cahin-caha sur la route faîtes de pierres volcanique : Paysage désert de rochers, nous allons à Monte Verde la montagne la plus haute de l'île. Les ados chantent la capoeir, Antonio s'écrie "on est jamais allé là haut, mais l'on dit qu' il fait trés froid". Arrivée au sommet, les enfants s'étonnent de l'altitude, de la petitesse de leur île et s'empressent de photographier tous les éléments de verdure. Ils courent pieds nus sur les murets qui entourent les terrasses, déterrent malgré nos avertissements salades, patates douce, carottes qu'ils mangent goulûment. Danisio plante un sisal dans une boîte de conserve.

Mario lance une grosse pierre dans le ravin surplombé par les terrasses, les autres l'imitent, on intervient fermement, les gosses comprennent le danger et arrêtent. On rentre au centre épuisé. Aucune entraide entre les gamins qui gèrent leur boîte, la communauté n'existe pas, c'est la loi de la rue, la loi de la jungle.

Il y a ceux qui prennent cinq boîtes à la fois et ceux qui se font porter la leur, je tente sans grand succès d'expliquer l'esprit communautaire : Toy bouscule par inadvertance le sténopé d' Ilidio, la bagarre éclate l'un prend un pavé, l'autre va chercher des tessons de bouteille dans une poubelle. JP s'interpose, je tente de calmer Toy qui brutalement éclate en sanglot comme un bambin. Les enfants nous apprivoisent mais les maladresses continuent. Danisio développe son image, met une feuille vierge dans sa boîte et sort tranquillement ouvrant en grand la porte -Hurlement général- Chacun tente de cacher sa feuille voilée par la lumière du jour . JP essaye de calmer les esprits, en vain. A la sortie du labo ils s'approchent du fautif qui reçoit une volée de coups. Les seize gamins sont là quotidiennement ce qui étonne l' interprète.

Malgré les difficultés les images apparaissent Helder a un pied cassé, marche avec des béquilles. Sur la plage elles s'enfoncent mais rien ne l'empêche d'aller faire son image; il grimpe sur une colline, redescend supplie les autres en pleurant pour porter sa boîte. Odair s'approche avec son sténopé" tu as vu, c'est marrant on voit le trou"- Regarde son gaffer est dans les wc", s'écrie Louis. " Non ce n'est pas vrai crie JP, je n'en peux plus... " - "Pense aux dépressions des 50 éme hurlant!" La directrice du centre vient nous rendre visite et nous dit d'un ton compatissant: "Cela va bien, ils ne sont pas trop dur? Quelle patience vous avez." Les promenades dans l'île se succèdent, les enfants découvrent, l'explorent. "C'est beau toutes ces pierres, me dit Antonio en me prenant la main, mais il y en a un peu trop..." Dans la rue Mario entasse boîte sur boîte pour réaliser son image une voiture de police arrivent en fonçant et s'arrêtent juste au niveau des boîtes. "Qu'est-ce que vous faîtes?, vous empêcher la circulation", crie un policier. Explication, l'on rassure les forces de l'ordre.

Danisio porte son sténopé sur sa tête, il s'approche d'une vendeuse de bananes, prépare sa boîte, calcule méticuleusement son angle. Soudain la femme hurle: "C'est encore toi!, inutile de faire des simagrées, tu ne me voleras pas de bananes avec ta boîte. Le petit explique, la femme n'en croit pas un mot. "Cette fois j'appelle la police". Danisio fond en larmes : Tu vois, marmonne-t-il, même si l'on fait des choses sérieuses, personne ne nous croît. On donne un carton d'invitation pour le vernissage à la femme qui tend une banane à Danisio. Elton place sa boîte face à l'eglise, une vendeuse de bonbons lui crie:"Eh! petit, va dans l'église tu auras plus de chance avec ton tronc..." Au laboratoire, les bagarres s'estompent, les gamins prennent conscience qu'il faut être soigneux et disciplinés. Le "senior revelatore" prend son travail au sérieux et reste collé à la pendule pour ne pas oublier son temps." "Le senior fixatore", ne goûte plus le produit et les images apparaissent sans trace. Antonio développe doucement son image qui apparait "Ah! elle est bien, soupire-t-il ,je suis seul sur cette route comme je suis seul dans la vie..." Certains enfants commencent à s'entraider, une solidarité se forge à travers leur travail.

Louis et Nuno viennent nous aider pour encadrer les photos. Le vernissage est ubuesque: gamins de la rue du centre, d'autres insoumis qui nous avaient volé, policiers curieux, intellectuels, marins de passage... Les enfants font visiter leur exposition et ne sont pas avares d'explications. Un groupe de capoeira berce de ses rythmes africain l'exposition en plein air. Peine et joie, calme et tempête se sont succédés après vingt six mois de navigation. Trente six mille miles parcourus, une longue chaîne photographique fait la farandole grâce aux regards des enfants. Le Tiki Yo peut rentrer à l'écurie.

 

 

 


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