Cebu, Philippines, décembre 1999 - janvier 2000.

Trente trois jours de mer dans une chaleur suffocante et des calmes sans ride. Le 18 décembre 1999, le Tiki Yo , au lever du jour pointe son étrave devant l'île d'Hommonhon. Première terre touchée par Magellan. Cet îlot nous indique l'entrée de Surigao channel qui nous conduit à Cebu, deuxième ville des Philippines.

Rencontre avec les autorités: le maire, Alvin Garcia, le directeur du centre culturel Français, Walter Hansen et le père Michel de la confrérie Saint Jean qui s'occupe d'adolescents à problèmes (drogue, prostitution, délinquance...).

philippines13.jpg (8984 octets)Nous rencontrons le premier groupe qui se compose de jeunes prostituées et de filles ayant été sexuellement agressées, et des garçons venant d'un barrio (bidonville). Le second groupe vient de Kamagayan, quartier chaud de Cebu. " les filles ont été retirées de la rue par le père Heinz, certaines sont recherchées par leur maquereau, cela peut donc être dangereux ..."nous confie le père Michel. On installe le laboratoire dans une cuisine délabrée du couvent qui sert de refuge aux filles.

Le cours commence. Trés vite certains types se font remarquer: le technicien Jun Jun, un des seul à aller à l'école. Il pose sans cesse des questions et a du mal à comprendre comment une boîte peut faire des photos et semble perplexe. La dragueuse, Dina qui se colle à JP et le dévore des yeux tout en prenant un soin extrême de sa boîte. La gourmande Rodolphina qui croque sans cesse de bonbons. L' attentive, Janice qui ne dit mot mais écoute et regarde tout ce qui se passe.

Nous pénétrons dans le laboratoire. J'ai l'impression qu'il rentre dans un lieu saint, personne ne dit mot. On éteint la lumière, la lanterne rouge et jaune les émerveille: "C'est beau maintenant ! " lance Dîna. Les enfants laissés dehors tentent de rentrer, JP tente d'arrêter l'invasion...Ils chargent les boîtes et l'on va dans le barrio proche du couvent. Nissan le plus jeune du groupe chante sans cesse. Il s'arrête, regarde une maisonnée, calcule son angle et me demande sagement si il peut la photographier. Il pose sa boîte, la cale, les filles l'aident. Ne sachant se servir de la cellule, il interroge JP sur le temps qu'il doit pauser. "Dix huit minutes". Oh là! c'est long hein...clame Nissan. " bon ce n'est pas grave j'attendrais..."

philippines06.jpg (11897 octets)De loin avec toute la verdure on se croirait dans un village de prés, un bidonville, sordide comme il y en a tant dans le monde. Le barrio est squatté par de nombreuses familles.

La passerelle que nous franchissons, enjambe une rivière où les détritus sont plus dense que l'eau. Les enfants du barrio nous suivent et posent des questions. Les ados fiers de leur savoir expliquent: Aristote, Vinci, Niepce...

Janice fait tomber sa boîte dans la gadoue; Elle là reprend rapidement et s'exclame: " je t'aime, je t'aime petite boîte. Pardonne-moi, je ne te ferai plus jamais tomber! "

C'est terrible, le temps est mauvais: vent violent, ciel couvert qui fait sauter les temps de pose de dix secondes à dix minutes je crains le pire. Il va y avoir beaucoup de mauvaises images. Retour au labo, les photos sont développées consciencieusement par les enfants. Elles apparaissent surexposées ou sous-exposées; malgré tout les gamins sont surpris du résultat. Enfin le premier négatif parfait apparaît. Cri de joie, j'ai du mal à calmer leur ardeur. Quarante cinq degrés dans le labo -l'étuve - nous sortons en nage.

 

Les enfants veulent repartir faire des images, nous rechargeons les sténopés et partons dans le barrio. Là une horde d'ados arrivent. Deux clans s'affrontent avec des pistolets qui tirent des balles en plastique. Jun Jun leur propose de les photographier à la condition expresse de rester tranquille. Les deux clans acceptent. Chacun prend la pose, regardant du coin de l'oeil son adversaire de l'autre, la boîte. Ils font tourner leur pistolet comme dans un vrai western. Jun Jun avec son perfectionnisme, s'applique, donne des ordres. Je me demande si les gamins ne vont pas craquer. Le temps de compter ensemble vingt secondes, vingt secondes de trêve. Jun Jun remet le gaffer et crie:" c'est fini! Les deux clans hurlent passent de tous côtés, les balles fusent, on doit partir...

 

philippines10.jpg (8094 octets)On explore la ville: le port, le marché, les collines qui entourent la ville. La mairie nous a prêté un bus dont les vitres s'entrechoquent et les sièges ne tiennent pas. Arrivée au couvent, les filles courrent déposer les boîtes et vont vers leur bébé pour l' embrasser. Elles retournent au labo en courant et me lance: " sorry, sorry but it's my love!" Les images sont développées avec soin . " La banca (pirogue) semble flotter sur une mer d'ordures clame Rodolphina"; "Tu as vu, ajoute Nissan, la puissance de Lapu Lapu avec son sabre en premier plan, ce n'est pas étonnant qu'il a tué Magellan !" et il met le négatif sous l'agrandisseur.

Le compte pose de Rolphina tombe en panne. Elle sera obligée de compter les secondes. "C'est facile, écoute lui dit Janice : Picture one, picture two..." Le test est réalisé, elle doit maintenant tirer la photo en entier. " Non je n'y arriverai pas, crie- t- elle. -" Bon je vais le faire, propose Janice- Je refuse: " Rodolphina si tu doutes de toi, tu n'y arriveras pas. Dis-toi c'est possible, je vais le faire! Si tu ne crois pas en toi, pourquoi veux- tu que les autres te croient..."Elle s'approche de l'agrandisseur; Je prie Niepce qu'elle y arrive. Elle compte- développe- la photo se révèle lentement, elle est parfaite, Rodolphina exulte.

Le bon angle a 45 degres.jpg (17515 octets)Janice a vite appris, elle fait d'excellentes images, conseille sur le terrain, au labo. Je propose à soeur Joséphina de la prendre comme intervenante pour le second groupe. La soeur n'est pas trop d'accord mais me donne le feu vert, devant le succès de l'atelier. Nous démontons le labo sous les yeux tristes des filles. "Vraiment, c'est fini?" demande Rodolphina à JP, "oui, mais le père Michel s'est engagé, pour faire un atelier permanent". Les filles nous remettent des lettres de remerciements à nous faire rougir de honte:" vous avez été le soleil de ma vie..."

 Court weekend entre les deux stages pour faire le point sur le carénage du bateau. Pendant l'atelier, nous passons à tour de rôle, en fin de journée voir la lente avancée des travaux...

Nous habitons à l'université de San Carlos en plein centre ville. Tout autour, Karaoke, bar à putes, dealer règnent. Le prochain stage se situe à deux pas de là. Nous installons le labo dans une chapelle dédié à saint Augustin situé au carrefour de deux sentiers qui vont à Kamagayan. Petit village de trois cent maisons faîtes de bric et de broc entourées par des immeubles. Nous passions tous les jours devant sans le remarquer. Un soir un rabatteur nous a proposé de la drogue puis des jeunes filles, "même trés jeune insiste-t- il photos à l'appui, moins de douze ans et vierge si vous voulez". On refuse alors vous désirez des jeunes garçon? " allez file .."

Nous tentons de faire le noir armés de sac poubelle, de cartons et de scotch. Trois jeunes tatoués qui bredouillent quelques mots d'anglais nous aident. En fin d'après midi la chapelle est transformée style "Cristo de la zone" On a réussi à trouver de l'électricité et pour l'eau , on verra avec les ados.

Cours devant le labo cad la chapelle !.jpg (28650 octets)Je fais stoïquement l'appel devant la chapelle où un grand nombre d'enfants sont réunis. Cinq gamins répondent présent. "Où sont les autres? demande JP. Reboy dort, Ana aussi, Jérôme est sous sa douche.. répond un ados mais on peut commencer". "Non, on débutera quand tout le monde sera là". Les enfants s'éclipsent déçus. Je me demande s' ils vont revenir. Petit à petit, ils arrivent, l'un à les yeux rouges et renifle sans cesse. Petite mise au point sur "le Philippinos times", traduite par Janice. Celle-ci en rajoute forte de sa place d'intervenante dans le groupe. Assis sur des bancs devant la chapelle les ados écoutent silencieusement. Derrière, gamins pieds nus, adultes regardent étonnés le cours, une centaine de personnes y assiste, curieuse. Je sors du labo avec une boîte, les enfants éclatent de rire : Non, c'est cela l'appareil ! Bizarrement ils redoublent d'attention. Janice fait des croquis sur les cartons qui servent de tableaux, explique méticuleusement le procédé. Je prends six ados .

rentre dans la chapelle. Dans l'obscurité une fille me mets la main aux fesses. Je mets rapidement les pendules à l'heure:" Vous n'êtes plus des putes, des dealers où des voyous, vous devenez des photographes! on va construire quelque chose ensemble, si vous le

philippines08.jpg (11245 octets)voulez vraiment. Les gamins dans la lumière rouge sont surpris. Sensoy m'interrompt::" tu sais on a pas l'habitude de construire..." Ils chargent les boîtes, tatonnent mais personne ne fait d'erreur. Premier sténopé dans le quartier, premier attroupement: autoportrait, portrait de copains frimant devant des voitures. Bousculade pendant le développement, janice mets vite de l'ordre... 53 ° on explose le record de température dans le labo. Cette chaleur, ne calme pas les gamins qui frappent dans leur main, claquent des doigts à chaque photo développée. Janice commente:" Trop noir, surexposé fais attention à ton temps de pose". " Euh.. se défend Jérôme, je trouve que ce n'est pas mal, on dirait l'enfer..."

8h 30, les ados nous attendent, Janice s'approche de moi: " Tout le monde est présent, me lance -t- elle en souriant. "Alors où partons- nous? "A la mer!" ." Moi je ne l'ai jamais vu de près," me confie Reboy. Dans le bus déglingué, Jay un étudiant, photographe amateur m' harcèle de questions. C'est lui, qui sera en charge de continuer les ateliers. Le car à peine arrêté, les gamins courent dans tous les sens. Jérôme, perplexe s'écrie : " La mer bouge et je veux la photographier..." philippines04.jpg (7487 octets)Longue explication sur le mouvement, l'impression du fugitif, le flou qui parle...Sensoy, un rabatteur court de tous côtés. Pose le sténopé puis le reprend. Que fais- tu? lui demande Jay. "Je cherche mon cadrage. Je veux réussir mon image ! " Tout le monde a fini. Seul, Sensoy, sous un soleil de plomb continue de chercher. Enfin il m'appelle: j'ai trouvé mais la boîte peut- elle aller dans l'eau?" Il plante le sténopé dans le sable à la lisière de la mer. Le gaffer à peine posé, il me dit: " Allez viens vite, j'ai hâte d'aller au labo voir mon propre travail !"Direction la chapelle. Sous les yeux de saint Augustin, les gestes deviennent précis, les images se révèlent doucement sous leurs yeux ébahis. Un sac poubelle se détache du plafond, la lumière du jour apparaît. Le groupe, hurle, protège leur précieux négatif, mais c'est trop tard. Heureusement Janice avait mis la plus part des feuilles dans une boîte. Le soir, je tire le reste des positifs. "Francisco je peux t'aider? Ana rentre sans attendre la réponse et se glisse, adroite derrière le rideau sans laisser passer la lumière. Elle s'asseoit prés des bacs et tourne lentement les images dans le fixateur avec sa main droite où

philippines02.jpg (10271 octets)j'aperçois les cicatrices de ses veines tranchées." Tu sais, j'ai vingt ans, mes parents sont morts lorsque j'en avait dix. Je me suis occupée de mes deux frères et de mes quatre soeurs. J'étais bonne et gagnais 1000 pesos par mois. Alors tu imagines quand j'ai pu gagner cela en une journée, dit-elle en clignant des yeux et remuant des fesses, je n'ai pas hésité. C'est dur, mais que veux- tu que je fasses?" - " Bon tout cela c'est le passé..."Euh ...tu veux dire le présent ".- " Écoute , c'est déjà l' avenir, regarde vers le futur, tu pourrais créer avec le groupe une association comme les enfants au Brésil et faire des cartes postales, imprimer des tee-shirt avec vos sténopés..." "Ce serait bien mais on a pas un sou..."J'en ai parlé au père Michel. Il est d'accord pour vous fournir un local et quelque fond pour le commencement." " Super!, je vais en parler aux autres." Elle sort, ouvre en grand le rideau "Mamia! " mon tirage est voilé.

Elle revient doucement et prend le bac rempli de sténopés. "Je les amène chez moi pour les laver cela te fera moins de travail. Tu sais, JP et toi vous êtes des Kuyas. Des Kuyas? oui, un ami, un grand frère, allez bonsoir".

 Cebu est parcouru en tout sens, découpé en 24x30. L'exposition a lieu au "Rezal Muséum ". Fierté de ces adolescents qui expliquent le procédé à l'assemblée: directeur du centre culturel Français , ambassadeur du Japon, d'Espagne, le maire, la presse, Famille et amis; la salle est comble." Les Images sont surprenantes c'est une vision presque trop réelle" me confie le Chef du protocole.

L'exposition doit tourner dans les universités et à Manille.

 

 

 


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