Colombo, Sri Lanka, avril 2000.

Dix sept février 2000. Un des moments les plus haïssable du voyage: les adieux... Nous laissons derrière nous un tas d'amis... Le Tiki Yo gonfle ses voiles et évite les nombreux cargos du Détroit de Malacca, déjoue les pirates, échappe aux tempêtes. Il avale les 3500 miles qui le sépare de Sri Lanka et l'on arrive le 27 mars 2000 à Colombo. Après l'imposante paperasserie des autorités portuaire, nous pénétrons dans la cité larvée par cette guerre d'usure... Rencontre de Gilles Salaun, directeur de l'Alliance Française, celui- ci nous met en contact avec Martin Costa directeur de l'association "Brotherhood of Hope Trust". Martin s'occupe d'enfants Tamouls. Mal vu à cause de la guerre, ce sont des "intouchables". Amené par les Anglais du sud de l'Inde, ils travaillaient dans les plantations de thé et le ramassage des ordures... Pour ceux qui ont la chance d'aller à l'école, les professeurs les traitent de terroristes, pour les autres, il reste la mendicité... Chandra, le plus âgé du groupe nous amène un thé au gingembre. Son père buvait du "biou", c'est un alcool local, composé de noix de coco distillé et d'acide de batterie.... Il en est mort. Sa mère avait le même vice et envoie le gamin travailler chez un fabricant de biou. Chandra fait un jour une erreur de manipulation, son patron lui plante un couteau dans la tête. Martin le recueille et il commence à récupérer les gamins des rues et crée une école.

Martin semble perplexe pour les dates de l'atelier, en effet au Sri Lanka on honore toutes les religions. En ce mois d'avril il y a la nouvelle année Bouddhiste et la semaine sainte. Après quelques réflexions on place l'atelier entre la nouvelle année et Pâques! Dans la maison-oasis qu'il a construite à Ja-ela, dans la banlieue de Colombo, les gamins nous attendent avec impatience. Le labo est vite installé dans une pièce qui donne sur un dortoir où nous logerons avec les moustiques... Les cours débutent, traduit par Martin en Cinghalais. Seul Chandra parle un peu anglais. Les enfants n'ont jamais fait de photos. Pauvres parmi les pauvres, rejetés par tous, ils ont des regards durs et sérieux. La boîte sortie, personne ne semble étonné; ils se la passent religieusement de main en main telle une relique. La pratique commence : geste maladroit, l'angle de 45° est réalisé avec difficulté, les mains vont dans tous les sens. Le chargement dans le laboratoire est laborieux. L'entraide est surprenante; dés qu'il y en a un dans l'embarras, les autre l'aident. Les premières photos sont faîtes autour de la maison. JP leur montre qu'on peut installer une boîte n'importe où : sur une chaise, un arbre, une table pour élever l'angle.. Dinesh veut photographier un temple Bouddhiste, je le vois partir avec une chaise et une table. je l'interpelle "Que fais-tu avec tout cela? 0h! on ne sait jamais..."Arrivée au temple, il se déchausse, va voir respectueusement le bonze et lui demande l'autorisation de le photographier. Le moine prend la boîte, l'ausculte, la remue sous les cris de Dinesh. Il explique, tente de convaincre le bonze et éclate de rire lorsque ce dernier lui répond qu'il est hors de question qu'on l'enferme dans une simple boîte... Il accorde le droit de photographier le temple.

Les autres enfants arrivent et malgré leur religion, ils sont tous catholiques, ils se déchaussent et saluent respectueusement le lieu et les divinités. Ils entassent les boîtes, surélèvent le sténopé et photographie un bas relief représentant la prospérité. Chandra est partout, il rectifie les angles, s'approche, recule donne son avis et fait partager son savoir. Les filles font les timides mais finissent toujours les premières. Au labo, elles font régner l'ordre et gèrent l'organisation du développement, elles corrigent les garçons qui se trompent du coté de la feuille. Acclamation dés la première image développée. J'entends Martin frapper à la porte : " Tout va bien ? "- No problem ", répond Chandra en riant. Le soir, cinq garçons, orphelins restent coucher à la maison. Ils nous harcèlent de questions sur le bateau, la photo... Jude prend une casserole et s'entraîne à calculer son angle. Thomas tente de compter en anglais : " Picture one, picture two... Chandra va chercher une cellule au labo et mesure la lumière dans la cuisine : " J'ai trouvé, s'écrie-t-il après de longues recherches, 2h 40 ." Je lui dit :" non, c'est 24h". "24h reprend-il c'est impossible de laisser ma boîte toute seule... Au dehors, les pétards claquent c'est le nouvel an. Les enfants ont préféré commencer le stage plutôt que de le reculer pour la fête.

Après le traditionnel curry, on installe les moustiquaires entre quatre chaises. Dans la nuit une petite voix se fait entendre : " on commence bien à huit heures demain? Oui, répond Arthur qui nous a rejoint à Cebu, va te coucher, il faut être en forme demain pour aller à Colombo". A Cinq heure trente ils nous réveillent : " allez le thé est prêt! Ils sont tous là, assis sagement à coté de leur boîte. Le bus se fait attendre, son arrivée et saluée par des applaudissements. Dinesh s'assoit à mes cotés et me parle en cinghalais avec de grands sourires. Martin se retourne : "En fait il te remercie car c'est la première fois qu'il va à Colombo". "Check point" après "check point", nous arrivons dans la cité désertée. Enfin on peut s'arrêter. Chandanie pose sa boîte, un agent de la sécurité militaire vient nous demander une explication sur ces boîtes douteuses. C'est vrai qu'il y a quinze jours huit Tamouls on fait un carnage dans le quartier. Aujourd'hui, nous explique-t-il , le centre ville est bouclé, il est interdit de faire une photo! " High security zone" lance le militaire à Jude tout penaud. Celui-ci triste à faire pleurer prend sa boîte et me regarde: "No possible?" "Quel est le numéro de ta boîte?" " Une "90" et le temps de pause 10 secondes avec ce soleil." Au prochain carrefour, tu places ton sténopé et tu enlèves le gaffer avant qu'ils arrivent tu auras fini. Il me répond par un grand sourire complice. Jude tient sa boîte serrée contre lui. Devant deux immeubles aux façades fissurées par d'anciens attentats, de gros blocs de ciment empêchent les véhicules de passer, derrière à une centaine de mètre deux "check point". Jude installe son sténopé, prend son angle compte et remet le gaffer. "Je les ai bien eu ! "On retourne dans le car; Jude, est acclamé comme un héros. "Direction le temple hindou "crie Chandanie. Si le facteur Cheval était devenu un fou de dieu, il aurait battit des temples merveilleux à mi-chemin entre Disneyland et Lourdes...

Amoncellement du panthéon hindouiste paré de couleurs violentes. Deux imposant Ganesh ouvrent les portes. Le groupe se fait arrêter par un moine : " Que fais- tu avec cette boîte?" " - une photo". "Ah! c'est 200 roupies par appareil, treize appareils, cela fait 2600". "Mais non plaide Sanjaya ce n'est pas un appareil, vous voyez bien que c'est une boîte." Le moine réfléchit et répond : "Dans ce cas là si c'est une boîte, ce n'est pas un appareil, c'est donc gratuit, vous pouvez rentrer!". Maduranga salue pieusement le merveilleux Ganesh, avant de monter sur un toit pour le photographier. Chanta choisit la divine Shiva sous les yeux curieux des croyants, elle pose sa boîte au pied de la déesse. Seul, Jeevan n'a pas fait d'image? Arthur lui demande ce qui ne va pas " tu sais, j'aimerai photographier l'hôtel Galle Face... "Le car nous dépose devant le plus vieux hôtel de Colombo. L'architecture coloniale imposante, Jeevan m'appelle : j'aimerai bien y rentrer, mais c'est impossible"... "Allez viens, on y va." Jeevan prend ma main et la serre fortement lorsque nous franchissons la haute porte d'entrée finement sculptée. Le portier nous salue mains jointes. Tour dans l'hôtel, des colonnes encadrent les cocotiers, la mer. "C'est là", me souffle- t - il . Un garçon s'approche : " On visite?" Jeevan se cache derrière moi. " On fait une photo." "Avec une boîte?" "Demandez au photographe". Jeevan explique tout le procédé. On sort de l' hôtel et Jeevan me glisse à l'oreille : "On est impoli on a oublié de saluer le portier!"

On retourne à Ja-ela, malgré l'heure tardive, les enfants montent quatre à quatre les escaliers qui vont au labo, mais Martin est formel : "on développera demain. " Le groupe s'organise : Les plus âgés enlèvent les couvercles des boîtes malmenées, difficiles à ouvrir. Maduranga est "Mister developper ", Chandanie "Miss fixer". Les critiques fusent : " je t'avais dit de monter sur l'arbre, lance Suresh, on aurait mieux vu le parc et le Bouddha." "Mais non, comme cela, il est seul, supérieur, il domine le Tout", rétorque Chandanie. On frappe violemment à la porte, les adolescents crient : "No "! Dinesh, "Mister light" attend les dix minutes nécessaire pour fixer les photos avant d'allumer la lumière. C'est le chauffeur du " tuk-tuk" : " Toute la ville me demande de venir voir exactement ce que vous faîtes..." Nous finissons l'atelier par la préparation de l'exposition. Les gamins mettent un soin infini pour encadrer les images. L'exposition a lieu à l' Alliance Française. Toute cérémonie commence au Sri Lanka par la cérémonie de la lampe : J'allume la petite mèche dans une lampe à huile entourée de fleurs de frangipaniers. Je vois les pupilles brillées des garçons habillés tout en blanc et les filles dans leur plus beau sari. Les enfants répondent aux interviews décontractés et l'exposition est conclue par un superbe buffet. Le groupe nous raccompagne au bateau, leurs chants nous font passer aisément les "check point". Lettre d'adieu émouvante et l'éternelle question qui nous brise le coeur :" Quand revenez-vous?.."

 

 

 


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