Républic de Nauru, novembre 1999.

Poussé par les alizés, le Tiki Yo franchit les lames, laissant derrière lui Tahiti. Escale technique où nous avons réparé les dégâts survenus à Rapa. La croix du sud s'incline doucement pour nous montrer le passage vers les Samoa que nous atteignons après onze jours de navigation. Quelques jours d'escale sont nécessaires pour faire le plein d'eau et de gasoil. Le début de cette traversée vers Nauru est laborieux, Eole se fait attendre...

Des grains violents apparaissent et déchire notre grand voile. Trente heures de couture dans une mer agitée... Quatorze jours plus tard nous arrivons à Nauru : la plus petite république du monde, perdue en plein océan. Les immenses grues du wharf, le nuage de phosphate qui entoure l'île ne donne vraiment pas envie de s'arrêter.

nauru 05'.jpg (13560 octets)La principale ressource de l'île est le phosphate. Celui-ci a été surexploité, actuellement, il est en fin d'exploitation. La plupart des arbres ont été arrachés entraînant de graves conséquences écologiques. Cela fait deux ans qu'il n'a pas plu à Nauru...

Nous avons l'interdiction d' aller sur l'île et après deux jours d'attente nous foulons la terre de la république.

"La ministre de la culture est partie en Australie, personne ne connaît le dossier," me dit ennuyé le ministre des affaires étrangères, mais ne vous en faîtes pas, tout va s'arranger." Deux ans de préparation pour en arriver là...

Enfin après une semaine de démêlés politique, ou sans cesse l'on me dit "demain, demain", le stage commence...

Les enfants ont été choisi dans les différentes écoles de l'île. Ils arrivent tous à l'heure et en uniforme. Chacun suit le cour, attentifs, prenant des notes, on est loin des tumultueux gamins de Rapa. L'envie d'apprendre, de comprendre nous surprend tous. Les questions fusent de toutes parts. Les thèmes sont choisis rapidement, le tableau est vite noirci.

Nous partons en prise de vue sous une chaleur torride, les enfants âgés de treize à dix sept ans sont moins à l'aise sur le terrain qu'en cours. Il faut les pousser pour demander l'autorisation aux gens de les photographier, s'approcher d'un maison les effraie, marcher en dehors des sentiers battus leur semble impossible...

De retour au laboratoire, Gemmyma ouvre sa boîte et regarde dedans, elle est déçue, il n'y a rien l'intèrieur, juste une feuille blanche. Elle plonge la feuille dans le révélateur et l'image apparaît avec son large sourire. Les enfants applaudissent. Pénina reste tétanisé devant la cuvette du révélateur qu'elle n'arrive pas à remuer.

"Cette après midi, c'est une demi journée fériée, me dit notre accompagnateur, pour fêter la course de chevaux qui se déroule à Melbourne en Australie, les enfants ne viendront pas". Les enfants protestent en choeur : "On a trop de jours fériés et l'on a rien à faire : Peut-on venir ?..."

L'eau est un véritable problème sur l'île, spécialement dans le quartier pauvre où le laboratoire est installé. Dans le meilleur des cas, deux heures d'eau courante tous les deux jours, c'est peu pour un laboratoire. Le gouvernement nous avait promis qu'il n'y aurait pas de problème... On finit par shunter l'eau des wc , malheureusement elle est saumâtre. Pour la première fois nous développons avec de l'eau salée. nauru 02'.jpg (8514 octets)

Les uniformes disparaissent, les champs de phosphate qui envahissent l'île deviennent leur terrain de jeux, peu à peu ils s'ouvrent, courent dans tous les sens.

Le Tiki Yo pendant ce temps là se porte mal, le courant, la houle le pousse contre la tonne réservée pour les cargos. La coque cogne, la plate forme arrière est enfoncée, chaque jour un nouveau problème surgit. Devant l'inertie des autorités pour tous les problèmes, nous décidons de partir. J'explique la situation aux enfants. Devant leurs visages déçus, nous revenons sur la décision.

Dans le bus qui nous emmène vers les grands filets qui servent à attraper les oiseaux, les filles chantent et dansent. C'est la dernière tradition de Nauru : la capture des frégates du Pacifique. Il faut en prendre trente et une, puis, après les avoir marqué, on les relâche. Ruman me lance "tu sais, c'est tabou pour les filles de venir ici..." Les prises de vue se déroulent sans problème. Mon appareil s'ouvre, voilant mon film. Ruman s'approche : " tu vois je te l'avais dit il ne fallait pas amener les filles ici..."

La boîte n'est pas perçue d'une fonction individuelle mais collective : Les adolescents développent ensembles tous les sténopés et se font des critiques constructives : "regarde ton angle, ta photo est mal cadrée, surexposée..." Seul Willen quand il n'est pas sur de son image développe la sienne, toujours le premier. La chaleur qui les clouait au sol semble oubliée sauf pour Preston que l'on cherche partout et que Ben retrouve sous la table de l'agrandisseur prés du climatiseur ! Ces enfants sont surprenant, ils comprennent vite et réalisent toutes les étapes sans erreur : une photo voilée sur 7oo de développées.

nauru 01'.jpg (11071 octets)Devant les bras géant des grues qui amènent le phosphate au cargos, Sled pose sa boîte et compte son temps de pause à la seconde précise. Je le félicite : "tu es un véritable chronomètre! "- C'est normal, me rétorque-t-il en claquant des doigts, chaque soir, de retour à la maison je m'entraîne : picture one, picture two, picture three..."

Nous continuons la promenade, un homme depuis le début de la matinée nous suit. Il s'approche des enfants et leur demande qui on est : " Quoi des Français! attention ce sont des bombes qui sont dans ces boîtes, ce sont des amis de Chirac ". Il commence à faire des kata Kong Fu devant JP guère rassuré. Les enfants ont un mal fou à expliquer à l'homme ce que l'on fait et plus difficile encore de convaincre que la bombe est un appareil photo. Il vient nous serrer la main chaleureusement : "si vous avez besoin d' aide" dit- il, en faisant jouer ses muscles, vous m'appelez!"

Ici, il y a peu d' images, seule une fille avait déjà fait des photos. Les enfants sont très sensibles aux problèmes de l'île et ont vite compris les possibilités de la petite boîte. La destruction de la forêt, la pollution des plages infestées de plastiques et de bouteilles, les problèmes de transport... L'exposition et préparée avec soin, les adolescents avalant leur déjeuner pour nous rejoindre plus vite. "Pour moi l'an 2000, c'est le début de la revalorisation de l'île qui a été dévastée depuis de nombreuses années..." me lance, Joël en guise d'adieu.

 

 

 

 


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