Le Tiki Yo appareille de Punta Arenas le 27
mars 1999, nous quittons le détroit de Magellan pour pénétrer dans les fabuleux
canaux de Patagonie. L'hiver austral étant en avance nous essuyons quelques
dépressions agrémentées de neige et de "growlers", morceaux de glace
détachés des glaciers.
Nous arrivons à Chiloé le 27 avril. Deux semaines d'escale pour réparer l'étrave qui a encaissé les growlers et préparer le Tiki Yo pour la longue traversée du Pacifique.
Après six semaines de navigation où j'ai été blessé en faisant plusieurs fois le tour du mat, la nuit à vingt mètres de haut. Je fus arrêté violemment en heurtant ma tête contre le mat.
Une courte escale à l'île de Pâques du au mauvaise condition de mouillage (un navire italien s'est échoué un mois avant notre arrivée...) et le Tiki Yo atterrit à l'île de Rapa, commune la plus australe de France.
Le Maire, le conseil Général, Le conseil des
sages nous accueillent de façon fort sympathique. Très honorés de participer
aux fêtes de l'an 2000, eux qui sont loin de tout . Cette île , éloignée reçoit
un bateau tout les trois mois quand les conditions météorologique le permettent...
"Rapa a la forme d'une couronne de Laurier me dit le maire, autrefois douze forts et huit mille personnes habitaient là. Ils guerroyaient sans cesse dans les montagnes escarpées. Actuellement l'île se compose de deux villages de 523 habitants dont une partie se trouvent à l'extérieur.
Ici, c'est l'envers de la carte postale Polynésienne : Pas de sable blanc, ni de cocotiers et le soleil....c'est sa première apparition depuis ....six mois !".
L'accueille de la population est plutôt décevante
: l'on répond à peine à nos salutations, les rues sont désertes, les gens
distants. Peu à peu l' on apprend pourquoi on est là. Le comportement change
radicalement: un pêcheur s'approche de moi et me donne un petit thon. Une
femme offre à Patrick du pain frais et des crêpes, on nous salue cordialement
et nous sommes adoptés pour les repas.
"La vie ici est communautaire, on achète pas le poisson, les pêcheurs le donnent, les cultures sont faîtes en commun et nul étranger peut acheter de la terre, on aime trop notre île!" m'explique Tamata , un pêcheur. Une petite maison nous est allouée et nous installons le laboratoire sous les yeux curieux des enfants qui s'approchent timidement." Vous venez pour le 14 juillet ? me demande Vérica, notre fête nationale elle dure trois semaines, c'est la fête !".
La directrice de l'école à choisi deux groupes d'enfants dans les deux villages. C'est une occasion de réunir ces deux hameaux qui ne s'entendent pas bien. Reste, des vieilles querelles ancestrales ou la guerre était le principal passe temps.
Le groupe d'enfants
arrive à sept heures trente. Ce matin, il y en a dix. L' après midi d'autres
veulent participer au stage. 
Je commence le petit cours d'histoire de la
photographie, puis l'histoire de Magellan qui remporte tous les suffrages.
Ils choisissent les endroits qu'ils veulent photographier. l'île est quadrillée, ils connaissent parfaitement leur terrain de jeux. "On prendra la baleinière cela ira plus vite, lance Mahara, la seule piste de Rapa n'est pas encore finie!".
Les premières heures sont les plus importantes, chaque enfant doit faire sa première image, sans trop y croire. Roland coure dans tous les coins et met plus d'une heure à choisir sa photo. Stéphanie, choisit son angle, méticuleusement, cale sa boîte, enlève le gaffer prend son image. Quelques instant plus tard je la vois prendre une seconde photo avec la même boîte...
La magie du laboratoire opère lentement. les enfants d'un geste maladroit et brutal déposent la feuille émulsionnée dans le révélateur. Le produit agité violemment sort de la cuvette...Des "oh!", des "ha!" sont criés sans arrêt, que le papier soit devenu noir, ou complètement blanc.
" C'est bien ! hein", clame sans cesse Manuelo. Prendre soin d'une boîte, mettre la feuille sensible de façon méticuleuse, calculer un temps de pose, tout cela semble étrange à ce petit monde ou aucun interdit, aucun danger, aucune retenue n'est autorisée sauf celle de vivre, libre sans aucun soucis...Première feuille mise à l'envers, image voilée, photo surexposée. On trouve de tout dans les boîtes même du chewing gum...
Les enfants progressent, les images sont intéressantes.
Les promenades dans les montagnes sont superbes. A Rapa les gens adorent leur
île, la protègent, les gamins sont fiers de nous la faire découvrir. A part
ce vent violent qui fait bouger les sténopés et cette pluie, c'est un véritable
paradis. Sauf pour nos photographes en herbe qui comptent leur long temps
de pose sous la pluie comme si de rien n'était: "Cinéma un, cinéma deux,
cinéma trois. Jusqu'ici, tout va bien, mais la machine s'affole : cinéma quatre,
cinq, huit, treize.... jusqu' à trois cent."
Nous sommes très étonnés de voir chaque jour des absents qui sont remplacés par d'autres enfants. Jean Philippe tente de savoir pourquoi deux gamins ne sont pas venu ce jour là . Stéphanie lui répond que l'un a été à la pêche avec son père et que l'autre fait le ménage de la maison...
Un
soir en rentrant au bateau je croise Oteai : " Demain, je peux venir
faire des photos, je connais déjà tout. Tu vois pour faire une photo, il faut
mettre ses mains comme cela". Joignant l'acte à la parole il me fait
voir l'angle de 45° qu'il faut faire pour délimiter son cadrage. "Bravo!
lui dis-je, sois à sept heures trente au laboratoire". Cette nuit le
vent a soufflé enlevant les défenses qui protègent le Tiki Yo. Celui-ci a
ragé contre le quai, enlevant la peinture et grattant le bois, Rodrigo s'est
coincé le bras, résultat une grosse compression musculaire. Il n'y a pas d
' hôpital à Rapa.
Le matin, dés six heures,
les enfants frappent à la porte.... La baleinière, copie des anciennes chaloupes
des vaisseaux qui abordaient l'île, traverse la baie du volcan effondrée,
ouverte sur la mer. "Tu vois, dit Hiram à Patrick, ici il n'y a pas d'animaux
sauvages à part les lapins qui sont sur l'îlot des lapins. - Vous les mangez
? demande Patrick - Non ! nos lapins, ils sont trop gentils..." 
On débarque et traverse une tarodière où l'on s'enfonce jusqu'aux genoux. Les enfants filent de tous côtés avec leur boîtes sous le bras.
"Je ferai bien une photo ,dit Vérica de ce pandanus mais dessous, il y a les tombes des anciens et c'est tabou! Mahara cherche désespérément un sujet. Faisant le tour d'un jardin potager il découvre un gros cochon et fais son portrait. Il s'approche de Rodrigo et lui confie : "Tu sais, le cochon, il est dans ma boîte.
Les
enfants ont du mal à faire attention dans le laboratoire : "Ryan, regarde
bien ton temps avant de développer". Scrupuleusement, Il prend la feuille
et la dépose avec une grande attention. dans le révélateur. Ryan, n'oublie
pas ton temps! Trente secondes passent. Ryan combien de temps reste-t-il?
Réponse avec un grand sourire : "je ne sais pas, je n'ai pas regardé!".
Il est difficile d'être précis quand on est sur une île où le temps ne compte
pas....
Dés que l'on se promène, les gens posent la question traditionnelle : " c'est quoi ?" Les enfants deviennent vite des maîtres dans l'explication du sténopé...
Pendant les trois semaines de fêtes du mois
de juillet, danse, concours de pêche, de la plus belle couronne, du plus lourd
régime de bananes se succèdent... Le résultat des concours a lieu le jour
de l'exposition où les deux villages sont réunis.
C'est un grand jour! La population est convié à venir au vernissage par haut parleur. L'on nous couvre de colliers en coquillages, de chapeaux finement tressés et d' un nombre incroyable de......... régimes de bananes! Après les discours traditionnels, un somptueux banquet nous attend et des danses jusqu'à l'aube...
L'exposition des enfants à un vif succès Le maire s'est engagé auprès du Ministre de la culture de la Polynésie madame Louise Peltzer pour que l'exposition tourne dans toute la Polynésie.
